Airbus dans les pas des pétroliers

La stratégie d’Airbus ou l’annonce d’un crash assuré

Un mercredi matin, Guillaume Faury a réveillé les auditeurs et auditrices de France Inter à coups de greenwashing et de mensonges que l’on pensait révolus depuis la pandémie de covid 19. En effet, depuis 2020 les informations et les discours ont beaucoup changé sur l’écologie, nous sommes passés d’insultes contre les écolos à un sujet incontournable tant les effets du changement climatique se font ressentir dans toutes les zones de la planète. Dernière belle avancée en date : la météo climat avec une information chaque jour à une heure de grande écoute sur le service public, merci pour cela !

Guillaume Faury a-t-il fait son temps ?

On se souvient d’Emmanuel Faber PDG de Danone mis sur la touche en 2021 pour une ambition environnementale forte, Guillaume Faury a-t-il peur pour sa place qu’il enterre toute ambition ? Comment le PDG du fleuron européen de l’aéronautique, leader mondial, peut-il passer 25 minutes à enchaîner les contrevérités ? Bien que nous n’ayons pas de moyen autre que notre temps libre pour le faire, il nous semble important de répondre point par point aux affirmations de Monsieur Faury. Comme signalé à des journalistes de France Inter le jour même de l’interview, nous sommes disponibles pour défendre nos arguments. Morceaux choisis des déclarations de Mr Faury, suivis des commentaires du PAD :

« Airbus a pris un virage en 2019 pour la décarbonation » : Airbus planifie de construire deux fois plus d’avions d’ici 2045, des avions classiques qui vont émettre des Gaz à Effets de Serre (GES) pour environ 30 ans d’exploitation. Beau virage en effet.

« Le recrutement est difficile », « nous sommes numéro 1 au classement pour l’attractivité des ingénieurs » : belle incohérence ici ! La prestation du PDG d’Airbus ne va pas arranger les choses pour les prochaines embauches car 70% des actifs souhaitent des engagements clairs de leur entreprise dans la transition pour pouvoir y rester durablement.

« L’hydrogène ne sera que peu contributif à l’effort global d’ici 2050 » : cela balaie les présentations faites en 2020 et en grande pompe du projet Airbus Zero-e pour un avion à hydrogène dès 2035. Merci pour cette honnêteté.

Mr Faury prend ensuite l’exemple de la navette Paris – Toulouse en avion qu’il compare au même trajet en voiture. Comparaison n’est pas raison ! En effet, il compare ici un avion, dont le remplissage est optimisé, à une voiture avec un seul occupant. C’est assez malhonnête. Il serait plus juste de comparer ce vol avec le train (très efficace sur cet axe) ou avec le bus, mais cela n’aurait pas servi son propos. Aussi, une fois à Toulouse, si je suis venu en avion je vais pouvoir faire les activités que je suis venu y faire pendant que l’autre personne sera encore sur la route. Si notre voyageur aérien rentre le jour même à Paris, alors il aura émis bien plus de GES sur la journée que celui qui est parti en voiture et ne pourra rentrer que le lendemain (ce que personne ne fait ! On choisit la voiture seulement si on reste plusieurs jours sur place). Mais le débat reste ailleurs, pour chacune des options de trajet (avion, train, voiture, etc), vous pouvez faire une comparaison avec le calculateur de l’ADEME pour savoir laquelle est la moins impactante avec vos contraintes. C’est d’ailleurs ce que dit Mr Faury quelques secondes plus tard : « Les trajets moyens en avion sont de 1700 km en Europe et de 250 à 300 km en train », « On peut aller à Toulouse depuis Paris en avion, un avion n’est pas fait pour ça, mais on peut », il saborde ici sa propre comparaison en suggérant la suppression des vols courts. En effet, l’avion est efficace pour aller loin, alors allons jusqu’au bout du raisonnement et choisissons le train pour Paris – Toulouse !

« Voyager dans cette planète est indispensable pour vivre en paix », « l’aviation est la solution, pas le problème » : Quelle étude montre que l’avènement de l’aviation de masse a contribué à une réduction des conflits internationaux ? 

« Dans beaucoup de pays qui sont en développement, l’aviation est une solution absolument indispensable à ce développement et au fonctionnement des sociétés en particulier dans les pays à la géographie ne permettant pas un réseau ferroviaire ou routier comme aux USA, en Indonésie et en Australie » : 3 exemples avec 2 pays riches, quel rapport avec le développement économique ? Des études menées notamment en Inde montrent que l’avion ne profite qu’aux plus favorisés, augmentant d’autant les inégalités dans ces pays. Au niveau mondial seul 20% de la population est montée dans un avion et 1% des voyageurs génère 50% des émissions. On est loin d’un développement vertueux pour tout le monde!

« Il faut rendre ce mode de transport compatible de l’environnement et c’est ce que nous faisons » : Ce n’est certainement pas ce que fait Airbus! L’aviation ne sera pas soutenable car malgré l’arrivée très progressive des solutions technologiques (SAF, h2, etc), dont il restent à prouver l’efficacité, la croissance du trafic aérien (doublement du trafic d’ici 2045) rend sa trajectoire non compatible avec l’accord de Paris.

« Le rail est déjà très subventionné par l’État » : et l’aérien ? Zéro taxe sur le kérosène, zéro TVA sur les vols internationaux et les jets privés, des commerces détaxés dans les aéroports et les avions, des zones franches dans les aéroports, des incitations fiscales à ouvrir de nouvelles lignes, des subventions aux aéroports non rentables, …

« Il faut avancer, se remettre au boulot, remettre le pays à l’attaque, compétitif, avec de l’envie. Ce n’est pas avec de la peur, de la résistance que l’on va devenir bon, c’est en étant au boulot, innovant » : les ouvriers des chaînes de production apprécieront les conseils du PDG… au boulot fainéants !

Comme vous pouvez le constater, il y a beaucoup de contre-vérités pour un entretien de seulement 25 minutes, sans contradiction.

L’industrie aéronautique se met en danger à rester dans son déni

Airbus n’est pas la seule entreprise à être dans un déni environnemental alimenté par une vision techno-solutionniste. En réalité, Guillaume Faury se fait ici le porte-parole de l’ensemble de l’industrie qui s’applique à répéter qu’aucune régulation n’est nécessaire car le secteur est assez intelligent et volontaire pour se transformer. A grand renfort de rappels de l’imaginaire des pionniers, l’industrie aéronautique dépense des centaines de milliers d’euros en lobbying international pour éviter toute régulation extérieure. “Comme les pionniers ont réussi l’impossible, nous réussiront à décarboner l’aviation”. Pourtant ce vernis craque ici et là grâce notamment aux travaux scientifiques et aux études techniques sur le sujet (Giec, Ademe, Isae-Supaero, Shift project, etc). Mais aussi grâce aux collectifs de riverains qui depuis plus de 20 ans souffrent des mêmes discours qui s’ajoutent aux nuisances croissantes qu’ils subissent malgré des avancées technologiques indéniables. Comment est-ce possible ? Le loup est à trouver dans la lenteur du renouvellement des flottes bien sûr, mais surtout dans la hausse du trafic. Vous voulez un aperçu ? Rendez vous au parc Jean-Jacques Rousseau d’Asnières sur Seine, rendez vous à Gonesse, à Saint-Denis, à la Courneuve ou à Aubervilliers. Mais aussi à Nantes, à Toulouse, capitale de l’aéronautique où une grande partie de la population en souffre tandis qu’une autre y travaille. Nous pensons aussi aux niçois dont le littoral est rythmé et pollué par les atterrissages et les décollages des avions et récemment de quelques hélicoptères de celles et ceux qui n’ont pas entendu le slogan du gouvernement « je baisse, j’éteins, je décale” et brûlent toujours plus d’énergie pour rejoindre le plus vite possible leur résidence. Un membre de longue date de ces collectifs et associations aime à souligner que “ce que fait l’aviation avec le CO2 aujourd’hui, nous le subissons depuis 20 ans avec le bruit. L’industrie nous balade de concertations en ateliers participatifs et au final nous voyons augmenter les nuisances. Si l’on laisse faire c’est ce qui nous attend pour les émissions de CO2.” Et c’est ce que les chiffres montrent, les émissions du trafic aérien ne cessent d’augmenter.

Comment éviter un procès dans 50 ans ? 

A l’instar de Total Energies ou Exxon qui savaient dès 1970 que l’utilisation du pétrole représentait un grand risque pour l’avenir et ont tout fait pour enterrer les rapports scientifiques et travailler à la fabrique du doute partout où cela était possible afin d’assurer leurs profits indécents, jusqu’à aujourd’hui. Et, à voir les investissements de Total Energies et d’autres, nous n’en sommes pas encore sortis.
Nous savons aujourd’hui que doubler le nombre d’avions d’ici 2045 est climaticide: que faisons nous pour enrayer cette perspective dès maintenant ? Quel poker menteur permet à une industrie de pointe de se mentir et de mentir au monde à ce point ? Comment les financeurs peuvent se laisser bercer par ces histoires à dormir debout ? Serait-ce que tout ce beau monde aime à se laisser endormir ? L’industrie est-elle si désespérée qu’elle sacrifie toute sa crédibilité pour des profits court termistes ?

Pensons l’aéronautique pour demain

Si l’on souhaite pouvoir voler demain, écoutons les scientifiques et refusons les modèles économiques anachroniques pour en créer de nouveaux qui seront compatibles avec la préservation de notre écosystème. Pour que l’avion “ne meure pas avec le pétrole”, comme l’a prophétisé JM Jancovici, il est nécessaire de prendre des mesures fortes qui vont à contre-courant d’une logique purement financière. Les gouvernants doivent comprendre que le réchauffement climatique n’est pas un problème qui se résout comme les autres, en effet, toutes les tonnes de CO2 émises hier, aujourd’hui ou demain resteront dans l’atmosphère encore très longtemps car nous n’avons pas de technologie pour le soustraire de l’atmosphère. Nos économistes devraient rapidement comprendre qu’il n’y aura pas de profit sur une planète brûlée. Nous les engageons donc à se former aux enjeux environnementaux pour ne pas tomber dans les pièges de greenwashing des industriels qui les mèneront vers des pertes abyssales de rentabilité. 

Prendre la mesure de l’urgence serait salvateur pour tout ce beau monde. Comme la Convention des entreprises pour le climat, qui est en train de se diffuser dans toute la France, nous appelons de nos vœux toutes les entreprises à se former pour pouvoir réagir correctement. Bien sûr, changer les modèles économiques va prendre du temps alors que nous n’en avons pas. Il est trop tard pour anticiper mais il n’est pas trop tard pour accompagner les femmes et les hommes qui vont souffrir de ces changements. Certaines mesures pourraient être mises en place rapidement si la volonté politique est au rendez-vous. En 2021, le collectif PAD en avait esquissé quelques-unes en prévision de l’après pandémie, elles sont toujours d’actualité : 

  • Définir un budget de GES contraignant par secteur aligné sur l’accord de Paris pour que les entreprises puissent s’engager sur des objectifs mesurables
  • Introduire la notion de capacité environnementale des aéroports qui serait en surplomb de la capacité technologique
  • Mettre fin à toutes les incitations fiscales et aux exonérations de taxes permettant de doper le trafic 
  • Se nourrir des Nouveaux modèles économiques pour les business plans des entreprises
  • Créer un pôle européen du recyclage aéronautique
  • Permettre, faciliter et accompagner la transition en emploi des salariés qui le souhaitent
  • Diminuer les cadences et le temps de travail, favoriser la pluriactivité choisie et redonner du pouvoir aux salariés dans l’entreprise
  • Relisez toutes nos propositions ici : https://aerodemain.org/rapports/

Le Collectif PAD

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